ISLAM - Les sciences religieuses traditionnelles

ISLAM - Les sciences religieuses traditionnelles
ISLAM - Les sciences religieuses traditionnelles

La civilisation islamique, développée sous l’influx de la religion musulmane, s’est donné tout un ensemble d’expressions culturelles. Certaines d’entre elles portent sur l’islam en tant précisément que religion. Nous les appelons ici « sciences religieuses traditionnelles ». Pourquoi traditionnelles? Pour deux raisons, c’est-à-dire en deux sens. Ces sciences religieuses sont traditionnelles, d’abord, parce qu’elles sont religieuses. Qui dit religion, dit communauté. Transmettant dans la communauté ce qui lui donne sa vie spécifique, la tradition est inséparable de la religion. Dans le cas de l’islam lui-même, la religion est tout entière fondée sur un livre (le Coran) et un modèle (le Prophète) qui requièrent une tradition pour être maintenus en mémoire, justement et pleinement interprétés, valablement actualisés. Mais, d’un autre côté, ce courant vital s’est souvent fixé et figé, dans l’islam, en traditions d’écoles ou en formules rapportées aux autorités majeures ( ムad 稜th , khabar ): de ce point de vue aussi, les sciences religieuses sont traditionnelles.

Une classification générale des sciences a souvent été faite, dans l’islam, par des institutions d’enseignement ou par des auteurs isolés, mais le vocabulaire technique n’y est pas constant. On distingue deux grands groupes, dont l’un est celui des sciences fondées sur les lois et l’activité de la raison, ‘aql , d’où divers mots de même racine pour les désigner: ‘aqliyy t , ma‘q l ... L’autre grand groupe, le premier en vérité, celui qui nous occupe, rassemble les sciences « fondées sur l’audition des autorités » (sam‘iyy t ), ou « transmises » (manq l ), ou « fondées sur la Révélation » (shar‘iyya ). Les nommer « sciences religieuses traditionnelles » n’est donc pas une traduction de l’arabe, mais un équivalent.

Il faut noter avec soin que ces sciences « traditionnelles », c’est-à-dire acceptées par la tradition musulmane, ne le sont pas toutes au même degré. Il y a entre elles une hiérarchie. Les sciences du Coran et celles des traditions prophétiques ( ムad 稜th ) occupent fermement les deux premières places, suivies par le droit (ou jurisprudence: fiqh ) avec la science de ses principes (u ル l al-fiqh ). Ensuite vient la systématisation dogmatique: « les principes de la religion » (u ル l al-d 稜n , encore appelés ‘aq 稜da : « doctrine de foi »); la théologie dialectique (‘ilm al-kal m ) en est une forme rationalisée qui ne fait pas l’unanimité. Quant au soufisme (ta ルawwuf ) ou à la gnose spirituelle (‘irf n ), en dépit de leur grande ancienneté et de leur énorme influence passée et présente, ils restent en butte au rejet ou à la suspicion de nombreux musulmans, parfois très représentatifs.

Nos sciences religieuses traditionnelles sont quelquefois dites « arabes ». Elles englobent de fait les sciences du langage arabe, à commencer par sa grammaire et sa lexicologie. C’est que l’arabe est la langue du Coran, parole de Dieu, et la langue du Prophète, dont les paroles personnelles appartiennent aussi à la Révélation. Il s’ensuit une véritable sacralisation de l’arabe, étroitement lié à l’islam.

La religion musulmane est ainsi entourée de sciences qui l’éclairent, la déploient, l’affermissent, mais aussi la limitent et l’entravent. La plupart des courants musulmans contemporains s’accordent à vouloir les rénover, mais s’opposent sur les moyens à prendre pour y parvenir.

1. Les sciences du Coran

La religion musulmane est née du Coran. L’impact du Coran sur la civilisation islamique est extraordinaire. Aussi le Livre par excellence a-t-il été très tôt la source et l’objet de questionnements, de réflexions, d’enquêtes où les musulmans n’ont cessé d’étendre, de ramifier, d’approfondir leur connaissance du texte sacré.

L’élaboration initiale

L’extrême richesse du message coranique, la dispersion de chacun de ses enseignements en plusieurs passages de teneur différente, son style souvent très elliptique, son vocabulaire parfois archaïque ou mystérieux ont suscité des questions dès la première génération de l’islam. La compilation, orale puis écrite, des réponses à ces interrogations a donné naissance au commentaire ou explication du Coran, genre littéraire et activité scientifique qui n’ont jamais cessé de se poursuivre dans la communauté musulmane. Mais celle-ci, dans les premiers temps, s’est vue confrontée à une difficulté encore plus urgente. Avant que d’éclaircir les passages difficiles du texte, il fallait savoir quel texte était révélé. Les circonstances de la collecte du Coran montrent combien le problème était réel. Mais une fois même adoptée (ou plutôt acceptée) la Vulgate dite de ‘Uthm n, toute difficulté n’était pas écartée. L’écriture arabe ancienne était défective. Le ductus consonantique des premiers manuscrits pouvait dès lors, pour beaucoup de mots, être prononcé de plusieurs façons. Le sens, dans certains cas, en était changé. D’où l’apparition de nombreuses variantes. Leur divergence provoqua des conflits, leur étude engendra une science spéciale. Sept séries de variantes furent finalement reconnues comme les sept « lectures » canoniques (qir ’ t ), en principe également licites. Toute autre variante devint prohibée, à l’issue d’un long processus auquel la polémique brutale d’Ibn Muj hid, chef des « lecteurs » coraniques de Bagdad (mort en 324/936), donna une impulsion décisive.

Les sciences coraniques

Au IVe siècle de l’hégire/Xe siècle, la fixation définitive des « lectures » ôte à la science correspondante l’actualité de premier plan qui était la sienne. Les qir ’ t restent un secteur fondamental parmi les disciplines descriptives et interprétatives du Coran, mais celles-ci sont désormais polarisées par le commentaire (tafs 稜r ). De ces « sciences coraniques », les meilleurs tableaux nous sont donnés, au début de l’époque classique puis après elle, par deux auteurs de renom. Le Fihrist ou « Index », composé en 987 par Ibn al-Nad 稜m, comprend une section (I, 3) sur le Coran et sur les livres en traitant. Après de longues indications sur la collecte du Coran, l’ordre des sourates et ses variantes, les sept lectures canoniques et les autres, il énumère sous vingt-deux chefs près de trois cents ouvrages. Ceux-ci entrent presque tous dans les deux catégories susmentionnées. D’un côté, la science des lectures, avec des branches spéciales telles que la graphie particulière des manuscrits coraniques, ou le diacritisme et la vocalisation, ou même la simple étude de la lettre l m dans le Coran! Mais d’autre part et surtout, la science du commentaire, elle aussi avec de nombreuses sciences subordonnées, dont les plus importantes étudient: les circonstances de la révélation (asb b al-nuz l ) de chaque passage ou verset, qui aboutissent notamment à une chronologie relative de ces passages ou versets; l’abrogeant et l’abrogé (al-n sikh wal-mans kh ), discipline déterminant pour chaque verset s’il conserve une valeur juridique; les prescriptions légales (a ムk m ) finalement posées par le Livre; les versets ambigus (mutash bih ) faisant difficulté; enfin les significations (ma‘ n 稜 ), c’est-à-dire les implications sémantiques des expressions révélées.

Cinq siècles plus tard, le savant polygraphe al-Suy レ 稜 (mort en 1505) compose dans al-Itq n un traité complet des sciences coraniques. Son ouvrage, bourré de citations précieuses, est divisé en quatre-vingts chapitres, dont la technicité rigoureuse ne se relâche jamais. Ce genre de chef-d’œuvre avalise une évolution qui s’enracine dans la doctrine, systématisée au XIe siècle, de l’inimitabilité du Coran (i‘j z ). Celle-ci est de plus en plus considérée sous l’angle de l’éloquence, dont l’analyse minutieuse se fixe au début du XIVe siècle. Désormais, les sciences coraniques ne correspondent plus seulement à deux objets, mais à trois: le texte du Coran (qir ’ t ), son explication littérale (tafs 稜r ) et son inimitabilité essentiellement stylistique (i‘j z ). L’étude de cette dernière est divisée en trois sciences qui traitent: 1. des ma‘ n 稜 ou significations, maintenant annexées à l’apologétique scripturaire; 2. du bay n ou exposition (« science de l’expression figurée »); 3. du bad 稜‘ ou embellissement stylistique du discours.

En dehors des nombreux ouvrages sur telle ou telle des sciences coraniques, celles-ci ont plus rarement donné lieu à un traitement d’ensemble, comme les quarante et quelques pages de ヘabar 稜 au début de son commentaire, la remarquable introduction de Shahrast n 稜 au sien, l’Itq n de Suy レ 稜, ou encore les dix-huit chapitres qui ouvrent al-Burh n (Téhéran, 1375/1956), commentaire sh 稜‘ite d’al-Ba ムr n 稜 (mort en 1696).

Le commentaire coranique

Le commentaire direct et détaillé du Livre, dans l’ordre de ses sourates, est la forme principale de l’étude musulmane du Coran. L’exégèse musulmane classique présente deux caractères dominants: elle est traditionnelle et linguistique. Le sens du Livre est cherché avant tout dans les textes autoritatifs qui l’éclairent ou même l’expliquent: le Coran lui-même, souvent les ムad 稜ths du Prophète, toujours les traditions (akhb r ) remontant (ou du moins attribuées) à un compagnon du Prophète, c’est-à-dire à l’un des musulmans qui ont vécu avec Mu ムammad. Ce recours aux « autorités », massif dans les trois premiers siècles de l’islam, reste omniprésent par la suite. Bien qu’il soit moins apparent dans les ouvrages qui ne mentionnent plus les chaînes de transmetteurs, il continue d’être le soubassement de l’exégèse: même un R z 稜 s’appuie avec soin sur les traditions, et en cite parfois qu’on ne trouve pas chez ヘabar 稜. Le second caractère marquant du tafs 稜r est de comporter de longues discussions linguistiques, visant à élucider le vocabulaire, la grammaire, le style du texte sacré. Là encore, l’exposé est nourri de références normatives aux grands linguistes du IIe et IIIe siècles de l’hégire, et aux exemples tirés des premiers poètes arabes. Bien entendu, l’exégète musulman fait néanmoins usage de son opinion personnelle (ra’y ). Bien que violemment combattue durant les premières générations musulmanes, et exclue dans le sh 稜‘isme où la compréhension profonde et l’application exacte de la révélation ne sont accessibles qu’aux imams, l’opinion personnelle joue déjà un rôle dans les commentaires sunnites les plus traditionnels (tafs 稜r bil-ma’th r ), car les traditions n’y sont pas choisies et présentées sans arrière-pensée. Cette opinion personnelle s’affirmera ensuite ouvertement, légitimée par une plus grande exigence critique envers l’authenticité des traditions, et appelée par la nécessaire adaptation de l’islam aux civilisations et aux cultures nouvelles que son évolution lui fait rencontrer ou partager.

De tout cela résultèrent de considérables élargissements dans la finalité comme dans la méthode du commentaire coranique. Il ne s’est pas diversifié seulement en fonction des scissions doctrinales de la communauté (divergence du mu‘tazilisme et du sunnisme, clivage du sh 稜‘isme en imamisme et ismaélisme...). Il a parfois pris un visage différent, soit en assumant le lexique et la perspective de la philosophie islamique, soit en transposant toute l’interprétation du Coran dans le registre de la spiritualité.

Parmi les centaines de commentateurs coraniques, il faut citer au moins al- ヘabar 稜 (mort en 310/923, traditionaliste), al-Zamakhshar 稜 (mort en 538/1144, mu‘tazilite), al- ヘabars 稜 (mort en 548/1153, sh 稜‘ite imamite), al-Shahrast n 稜 (mort la même année, discrètement mais nettement ismaélien), Fakhr al-D 稜n al-R z 稜 (mort en 606/1210, au gigantesque commentaire encyclopédique et teinté de philosophie), al-Bay ボ w 稜 (mort en 685/1286?, sh fi‘ite grammairien).

L’exégèse musulmane au tournant du millénaire

Malgré les appels d’un tout petit nombre de penseurs musulmans (par exemple Fazlur Rahman, mort en 1988, et Mohammed Arkoun), il n’y a pas encore d’exégèse critique dans l’islam. Pas de critique textuelle, puisque le texte, on l’a vu, est fixé jusque dans ses légères variantes canoniques, presque seules à avoir survécu. Surtout pas de critique « littéraire », c’est-à-dire prenant en compte la personnalité et le milieu d’un auteur humain, puisque le texte est cru révélé jusqu’en chaque détail de son énonciation. A fortiori, pas de critique historique, qui admettrait la possibilité d’un écart entre l’affirmation littérale et la réalité effective.

La situation contemporaine comporte deux aspects. D’une part, le maintien de l’exégèse classique, dont les ouvrages fondamentaux continuent d’être souvent réédités, abondamment lus, officiellement enseignés, allègrement pillés et médiocrement imités. D’autre part, la percée de l’exégèse réformiste. Elle donne de fait au commentaire une forme nouvelle, beaucoup plus accessible au lecteur contemporain, et faisant siennes les préoccupations de l’actualité. Cela dans deux directions principales: soit l’illusion du scientisme concordiste, soit l’appel à la refonte sociale et politique. Une note apologétique insistante est commune aux deux tendances. Quelques noms: Mu ムammad ‘Abduh (Égyptien, mort en 1905), Ibn B d 稜s (Algérien, mort en 1940), Sayyid Qu レb (Frère Musulman, mort en 1966), ヘab レab ’ 稜 (Iranien sh 稜‘ite, mort en 1981).

Il faut souligner en conclusion l’importance des « traditions prophétiques ». La science correspondante, ‘ilm al- ムad 稜th , occupe toujours la deuxième place, juste après les sciences du Coran, dans la hiérarchie constante des sciences religieuses traditionnelles de l’islam. En réalité, la science des traditions prophétiques fonde (ou reflète) toutes les autres (y compris celle du Coran): au point qu’elle est parfois désignée, sans autre précision, par le mot de « science » (al-‘ilm ).

2. La grammaire

C’est du double besoin de fixer le texte du Coran et d’en enseigner la langue aux étrangers convertis qu’est née la grammaire arabe. De même que les autres sciences islamiques, comme l’exégèse, la théologie et le droit, la grammaire s’est constituée, durant la première moitié du VIIIe siècle, dans les deux métropoles du sud de l’Irak: Ba ルra et K fa. Dans ces deux grands centres intellectuels, en dehors de toute influence étrangère, se développèrent en effet deux écoles grammaticales, chacune ayant sa méthode pour décrire, analyser et classer les faits grammaticaux. À la fin du VIIIe siècle, la grammaire se trouve ainsi codifiée dans deux ouvrages: le Kit b f 稜 l-na ムw du Ba ルrien S 稜bawayhi (mort en 793) et le Kit b al- ネud d du K fien al-Farr ’ (mort en 822). De ces deux ouvrages fondamentaux, seul le Kit b de S 稜bawayhi nous est parvenu.

Naissance et développement

Au milieu du IXe siècle, lorsque al-Mubarrad (mort en 898) arrive à Ba face="EU Updot" 濫d d, c’est la méthode de K fa que les disciples d’al-Farr ’ y enseignent. Mais, grâce à la clarté de son enseignement et à son traité dans lequel il condense toute la matière du Kit b de S 稜bawayhi, al-Mubarrad impose la méthode de Ba ルra dans la capitale. Dans un premier temps, les grammairiens de Ba face="EU Updot" 濫d d mélangent les deux méthodes, puis abandonnent petit à petit la méthode de K fa pour celle de Ba ルra. Ibn al-Sarr face="EU Caron" ギ (mort en 928) assure le triomphe définitif de la méthode de Ba ルra en introduisant les divisions de la logique aristotélicienne dans son livre sur les fondements de la grammaire.

Le Xe siècle est vraiment l’âge d’or des études grammaticales à Ba face="EU Updot" 濫d d où enseignent trois grammairiens mu‘tazilites: al-S 稜r f 稜 (mort en 979), al-F ris 稜 (mort en 987) et al-Rumm n 稜 (mort en 994), puis leur élève Ibn face="EU Caron" ィinn 稜 (mort en 1002). Par leurs commentaires sur le Kit b de S 稜bawayhi, leurs sommes sur les fondements de la grammaire et leurs manuels pour l’enseigner, ces savants achèvent la rationalisation de la grammaire, dont ils font une construction logique, fondée sur la notion de norme.

Après une pause d’un siècle dans les études grammaticales, le Persan al-Zama face="EU Domacr" 更šar 稜 (mort en 1144) compose un traité didactique concis et clair, qui sera commenté par l’Alépin Ibn Ya‘ 稜š (mort en 1245), tandis que l’Irakien Ibn al-Anb r 稜 (mort en 1181) présente, dans l’un de ses ouvrages, cent vingt et une questions qui ont fait l’objet de divergences entre les grammairiens de Ba ルra et ceux de K fa, en donnant les arguments des uns et des autres.

Au XIIIe siècle, l’Égyptien Ibn al- ネ face="EU Caron" ギib (mort en 1249) abrège le traité d’al-Zama face="EU Domacr" 更šar 稜 dans deux opuscules qui seront commentés par le Persan al-Astar b face="EU Domacr" ヽ 稜 (mort en 1289) et, à la même époque, le Syrien Ibn M lik (mort en 1273) condense toute la grammaire dans un poème de mille vers.

Enfin, au XIVe siècle, l’Égyptien Ibn Hiš m est l’auteur de plusieurs traités didactiques, dont il commente lui-même certains.

Tels sont les principaux grammairiens qui ont développé et approfondi une réflexion originale sur le système grammatical que S 稜bawayhi avait exposé dans son K 稜tab , et auquel ils n’ont apporté que peu de changements. Comme le montre l’analyse qui suit, ce système diffère profondément du système grammatical gréco-latin.

Les trois parties du discours

Les grammairiens arabes ont reconnu dans leur langue trois sortes de mots: le nom, l’opération et la particule.

– Le nom est le mot qui s’applique à la chose et s’identifie à elle; le nom ne signifie donc pas la chose, il est cette chose. C’est sous l’influence de la logique aristotélicienne que les grammairiens, à partir d’Ibn al-Sarr face="EU Caron" ギ, distingueront le nom signifiant et la chose signifiée. Les noms sont de deux sortes: le nom complet et le nom incomplet. Le nom complet est celui qui n’a pas besoin d’un autre mot pour nommer la chose; cette chose est soit explicitée par son nom, selon qu’elle est un être animé ou inanimé (= substantif), un procès (= infinitif) ou une qualité (= adjectif), soit implicitée au moyen d’une marque (= pronom personnel), soit imprécisée au moyen d’un signe (= pronom démonstratif). Le nom incomplet est celui qui a besoin de l’adjonction d’un autre mot, nom ou opération, pour nommer la chose (= pronom relatif, conjonction). Le nom d’un être est soit général, s’appliquant à toute unité de son groupe (= nom commun), soit particulier, ne s’appliquant qu’à un individu pour lequel il est une marque prévalante (= nom propre). Quant à ses modalités, le nom est une chose connue ou inconnue; il est singulier, duel ou pluriel; il est considéré comme masculin ou féminin; il peut être diminué.

– L’opération (= le verbe) est constituée par des paradigmes formés pour indiquer le temps de la réalisation d’un procès. Les grammairiens de Ba ルra considéraient que l’opération est tirée du nom du procès, alors que ceux de K fa estimaient que c’est le nom du procès qui est tiré de l’opération. Un paradigme indique que le procès a eu lieu dans le passé et qu’il a cessé; un autre indique que le procès a lieu dans le présent et qu’il n’est pas achevé, ou qu’il aura lieu dans le futur et qu’il n’est pas arrivé. Mais les grammairiens de K fa pensaient que c’est le nom de l’opérant (= participe actif) qui indique que le procès a lieu dans le présent. L’opération est aussi formée pour exprimer le rapport du procès avec celui qui l’opère et avec celui sur lequel il est opéré: un paradigme indique que le procès est accompli par l’opérant, et un autre qu’il est subi par l’opéré. De même, les paradigmes sont construits pour indiquer le rapport du procès avec la personne qui l’opère: celle qui parle (le locuteur), celle à qui l’on parle (l’interlocuteur) et celle dont on parle (l’absent). Enfin, il existe deux sortes d’opérations: celle qui dépasse l’opérant vers un ou plusieurs opérés (= transitive) et celle qui ne dépasse pas l’opérant vers un opéré (= intransitive).

– La particule (= article, préposition et interjection) est définie par les premiers grammairiens comme étant le mot qui n’est ni un nom ni une opération, et qui indique la signification d’une chose et rien d’autre. À l’opposé du nom, qui n’est pas signifiant, la particule est signifiante. Lorsque les grammairiens de Ba face="EU Updot" 濫d d eurent admis que le nom signifie la chose, ils modifièrent l’ancienne définition de la particule qui devint le mot qui indique une signification non en lui-même, mais dans un autre mot que lui.

De la combinaison de ces trois sortes de mots entre eux résulte un énoncé; mais, sur les neuf combinaisons théoriques, il n’y en a que deux qui soient possibles: un nom avec un nom, et une opération avec un nom.

Les deux catégories de l’énoncé

Un énoncé est constitué par la connexion que le locuteur établit entre deux mots, le premier étant le connecté et le second ce à quoi il est connecté. Aucun de ces deux mots ne peut se passer de l’autre et chacun d’eux a besoin de l’autre: lorsqu’ils sont réunis, ils forment un énoncé complet, qui se suffit à lui-même et après lequel le locuteur peut faire silence. Les autres mots que le locuteur mentionne après l’achèvement de l’énoncé sont superfétatoires et ne font qu’ajouter à l’intérêt de l’énoncé, déjà complet, pour l’interlocuteur.

L’énoncé est de deux sortes:

– l’énoncé dont le premier terme est un nom « attaqué » sur lequel est construit un autre nom qui est une information à son sujet (= prédicat);

– l’énoncé dont le premier terme est une opération sur laquelle est construit un nom qui est son opérant (= sujet) ou son opéré (= objet).

Chez les premiers grammairiens, dans les deux sortes d’énoncés, le premier terme est le connecté et le second ce à quoi il est connecté. Mais, chez les grammairiens postérieurs, la notion de connexion ayant fait place à celle d’attribution, on observe un changement de terminologie: dans le premier énoncé, le nom attaqué est ce à quoi il est attribué, et l’information ce qui est attribué, alors que, dans le second énoncé, l’opération est ce qui est attribué, et l’opérant ce à quoi il est attribué.

Au moyen de l’énoncé, le locuteur informe l’interlocuteur de faits qui l’intéressent, mais qu’il ignore. Ceux-ci peuvent être de trois sortes:

– un fait certain, qui est soit une information (affirmative, négative ou exceptive), soit un serment (affirmatif ou négatif);

– un fait incertain, qui peut être: une interrogation (affirmative, négative ou réprobative); un ordre ou une invocation; une défense ou une mise en garde; une rétribution, en cas de réalisation d’une condition; un souhait;

– un fait affectif, qui peut être soit une interpellation ou une imploration, soit une exclamation ou une déploration.

Les positions respectives des mots dans l’énoncé

Dans l’énoncé, les mots occupent un certain nombre de positions les uns par rapport aux autres, selon un système binaire:

– par rapport à un nom, un autre nom peut être une information à son sujet; il peut aussi le qualifier ou le spécifier, ou encore lui être annexé, substitué, coordonné ou adjoint;

– par rapport à une opération, un nom peut être son opérant ou ce sur quoi, ce dans quoi, ce avec quoi, ce à cause de quoi, ce en compagnie de quoi il est opéré;

– par rapport à une particule, un nom peut lui être annexé;

– par rapport à un énoncé, un nom peut être un état, une circonstance de temps ou de lieu, une corroboration;

– par rapport à un nom, une opération peut être une information à son sujet; elle peut aussi le qualifier, ou encore lui être annexée ou adjointe;

– par rapport à une opération, une autre opération peut entretenir avec elle un lien de coordination.

Les comportements des mots dans la chaîne parlée

Dans la chaîne parlée, la consonne finale des mots est soit mue par une voyelle, soit non mue. L’état de la consonne finale de certains mots ne varie pas: le mot est alors considéré comme « constitué » selon cet état (voyelle ou absence de voyelle); c’est le cas des particules et du paradigme de l’opération indiquant le passé. Si l’état de la consonne finale du mot varie, le mot est alors considéré comme « arabisé » par l’une des trois voyelles ou l’absence de voyelle; c’est le cas des noms et du paradigme de l’opération indiquant le présentutur, parce qu’elle est « similaire » au nom de l’opérant (= participe actif).

Le problème, pour le locuteur, est de choisir entre quatre possibilités: voyelle /u/, voyelle /a/, voyelle /i/ ou absence de voyelle; dans le nom, il a le choix entre l’une des trois voyelles; dans l’opération, il a le choix entre la voyelle /u/ et la voyelle /a/ ou l’absence de voyelle.

Mais en fonction de quel critère le locuteur choisit-il tel ou tel état? Il choisit cet état en fonction des « régissants ».

La théorie des régissants

Les grammairiens arabes, en effet, ont construit une théorie d’après laquelle certains mots « régissent » l’état de la consonne finale des mots qui les suivent. Les régissants du nom sont nombreux:

– une opération explicitée ou implicitée, qui régit soit la voyelle /u/ soit la voyelle /a/;

– un nom ayant la même rection que l’opération, qui régit la voyelle /a/;

– un groupe de mots formant un énoncé, qui régit la voyelle /a/;

– un autre nom, qui régit la voyelle /i/;

– une particule, qui régit la voyelle /i/.

Quant au seul régissant de l’opération, c’est la particule, qui régit la voyelle /a/ ou l’absence de voyelle. Le fait d’être dénué de tout régissant entraîne, dans le nom et l’opération « similaire », la voyelle /u/.

Cette théorie des régissants a été unanimement acceptée par tous les grammairiens, et elle ne fut remise en question qu’en Occident, au XIIe siècle, par un grammairien ワ hirite andalou, Ibn Ma ボ ’ (mort en 1195). Dans sa Réfutation des grammairiens , Ibn Ma ボ ’ critiquait l’abus que les grammairiens font de la recherche des « causes » pour justifier telle ou telle rection, et rejetait la plupart d’entre elles. Mais la tentative d’Ibn Ma ボ ’

n’eut pas de suite, et la théorie des régissants continue de s’imposer aux grammairiens arabes jusqu’à nos jours.

3. Le droit

Existe-t-il un « droit » musulman? Le droit dit « musulman » est-il un droit canonique, c’est-à-dire religieux? Par quoi se distingue-t-il des prescriptions morales imposées aux fidèles de l’islam? Après en avoir déterminé la nature, les structures et les caractères fondamentaux, il faudra en retracer les grandes lignes dans les divers domaines que le droit embrasse d’une manière générale. Le tableau d’ensemble des normes musulmanes sera suivi d’une vue sur les perspectives d’avenir d’un système multiséculaire, dont l’aire d’application se trouve à l’heure actuelle très réduite. Mais, tout d’abord, un bref aperçu historique renseignera sur les diverses phases de développement du droit musulman.

Aperçu historique

L’ensemble du message de Mahomet constitue le livre sacré de l’islam appelé Coran (Qur’ n). Mais le Coran ne contient qu’un nombre dérisoire de textes ayant un caractère proprement juridique. En l’an 660, la dynastie des Omeyyades (Umayyades) créa un royaume arabe ayant pour capitale Damas, mais le centre de gravité de l’État musulman passa ensuite à Bagdad où les ‘Abb sides fondèrent l’empire qui devait donner à la civilisation musulmane son plein essor. C’est alors seulement que l’on constate l’existence d’un droit musulman entièrement élaboré. La première compilation exhaustive qui nous soit parvenue remonte au XIe siècle. En fait, tout au cours du Ier siècle de l’Islam, la communauté musulmane a vécu sous l’empire du droit coutumier qui était alors en vigueur soit au ネidj z soit en ‘Ir q. Sous les Omeyyades, les q ボ 稜s (q ボ 稜 ) nommés par les khalifes (khal 稜fa ) ont dû faire face à une société plus développée. Ils ont rendu la justice en faisant état du droit en vigueur, mais aussi en prenant en considération qu’ils détenaient leur pouvoir du khalife musulman et que le droit applicable devait être un droit adapté à la nouvelle foi. Mais, jusqu’ici, la « science » du droit musulman n’était pas née. La doctrine musulmane n’apparaît dans l’histoire qu’après l’avènement des ‘Abb sides. Elle a alors pris corps sous une forme achevée, dans la compilation de Šayb n 稜 (mort en 189 de l’hégire). Cet auteur se réclame d’Ab ネan 稜fa (m. en 150 hég.) qui a été considéré comme le fondateur du droit appelé, de son nom, hanéfite. Il mentionne également un autre disciple de ce fondateur: Ab Y suf Ya‘q b (m. en 182 hég.). Tous ces noms que la tradition a conservés n’ont pu, malgré tout, fonder d’un coup tout le système juridique qu’incarne le droit hanéfite. En fait, le système dit hanéfite n’est que la cristallisation d’un droit de source iraqienne qui a été accommodé aux besoins de la société musulmane. Mais, au même moment ou à peu près, un autre droit appelé malékite prend consistance. Il est rattaché à M lik ibn Anas (m. en 179 hég.). En fait, M lik et ses prédécesseurs (les sept jurisconsultes de Médine) ont modelé la coutume médinoise, et le droit dit malékite n’est qu’une nouvelle dénomination du système juridique appelé médinois et qui était toujours opposé, dès avant la fondation des écoles, au système iraqien.

L’histoire du droit musulman a, depuis, traversé trois phases. La première que nous appellerons « préclassique » est celle où les compilations fondamentales ont vu le jour. Le fait prédominant de cette période est celui de la prolifération des écoles. Déjà en Syrie, tout au début de l’époque préclassique, al-Awz ‘ 稜 (m. en 157 hég.) avait essayé de poser les bases d’une école autonome. Mais après la fondation des écoles hanéfite et malékite, à l’intérieur de l’orthodoxie musulmane (sunnites), al-Sh fi‘ 稜 (m. en 204 hég.) fondera l’école shaféite qui établit un compromis entre les deux tendances et fait prévaloir celle de Médine. Puis ce fut le tour d’Ibn ネanbal (m. en 241 hég.), qui opte pour un éclectisme manifeste. Au sein des dissidents (sh 稜‘ites), on constate aussi la multiplication des écoles: l’école zaydite fondée par Zayd ibn ‘Al 稜 (m. en 145 hég.) et l’école im mite (duodécimains). Signalons enfin l’école zahirite (ou des ベ hiriyya) fondée par D ’ d (m. 290 hég.), qui s’attache à la lettre des sources scripturaires. Un autre mouvement à caractère politique appelé le kharidjisme s’est créé une école propre, l’école kharidjite, qui se situe en dehors des sectes sunnites et sh 稜‘ites.

L’époque « classique » verra l’éclosion des ouvrages qui au cours des IIIe et IVe siècles de l’Islam vont exposer, chaque auteur suivant son école, le droit musulman tel qu’il découle des collections fondamentales, mais selon une méthode plus rationnelle. Des tentatives de systématisation ont été dès lors amorcées qui n’ont pu enlever, malgré tout, au droit musulman son caractère empirique. Ces ouvrages continuent, de nos jours, à être invoqués pour établir l’authenticité de telle ou telle solution.

On a coutume de dire que la « porte de l’effort » (b b al-i face="EU Caron" ギtih d ) a été scellée dès la fin du IVe siècle de l’hégire. On entend par là que toute liberté d’émettre une opinion a été abolie. Dès lors, la littérature juridique va consister principalement à gloser les ouvrages classiques. Ce sera l’époque que l’on peut appeler « postclassique » et qui s’est étendue jusqu’à nos jours. Mais il faut constater qu’au contact de la civilisation occidentale le droit musulman entre à l’heure actuelle dans une nouvelle phase, qui sera décrite plus loin.

Nature, structure et traits fondamentaux du droit musulman

L’épithète « musulman » appliquée au droit est à l’origine d’un malentendu. Les musulmans ignorent la distinction occidentale entre droit canonique et droit laïc. Il n’existe pas d’Église au sein de l’Islam. Si, en Islam, la ligne de démarcation entre le temporel et le spirituel se trouve être très estompée, en fait, les docteurs de l’Islam distinguent bien le domaine du droit de celui de la morale ou de la religion. Ils prennent toujours soin de relever que l’acte peut être répréhensible en religion (diy natan ), alors qu’il est valable en droit, aux yeux du juge (qa ボ ’an ).

Le droit musulman est tout autant un droit positif que le droit romain à l’époque où le jus était distingué du fas . Il est né et a pris corps sous le califat ‘abb side, qui était un État théocratique n’ayant pas d’autre qualificatif que celui d’État musulman; c’est pourquoi les jurisconsultes qui l’ont codifié l’ont aussitôt qualifié de musulman. Si ces docteurs de l’Islam ont tenu compte des injonctions de la foi musulmane, notamment dans les matières où les sources scripturaires sont plus abondantes, il n’en reste pas moins vrai que la construction du corpus juris ne doit presque rien à ces sources scripturaires. Le droit musulman est un droit positif puisé dans le fonds coutumier oriental où vécurent les premiers jurisconsultes musulmans. Pour bien faire ressortir le caractère proprement juridique du système musulman, il sied de considérer, dans sa structure même, la règle posée par les docteurs de l’Islam.

La règle posée dans les ouvrages de doctrine musulmane possède les caractères communs aux règles de droit. En premier lieu, cette « réalisabilité formelle » dont parle Ihering. La règle s’attache, en effet, au fait externe, sans considération aucune pour les motifs psychologiques de l’acte. L’intention n’entre en ligne de compte qu’en vue de la sanction morale ou religieuse. Les jurisconsultes musulmans étaient conscients de leur tâche: la règle posée doit recevoir application dans la pratique. Et le droit musulman, tel qu’il a été édifié par ces jurisconsultes, fut des siècles durant un droit vivant. L’existence d’ouvrages consacrés aux modèles d’actes juridiques, aux subterfuges ( ムi ヮal ) destinés à pallier la rigueur de la loi le prouve à suffisance. Si, en matière pénale, certaines prescriptions semblent avoir été négligées, ce fait est dû à une certaine organisation judiciaire qui a permis par exemple à l’édile curule (mu ムtasib ) d’exercer un contrôle d’une manière discrétionnaire sur les voies publiques et les marchés.

La règle posée n’est donc point, comme le pensent certains orientalistes, une règle de déontologie, mais bel et bien une règle de droit positif.

Le droit musulman est à caractère empirique. Les ouvrages de droit musulman ne contiennent point de théories générales. Les divers contrats y sont étudiés successivement sans aucun ordre logique. De même, la responsabilité délictuelle y est traitée dans certains cas déterminés. Dans sa structure externe, le droit musulman est une sorte de case-law . C’est le cas singulier (mas‘ala ) qui est surtout visé. La méthode casuistique est à la base de la science du droit musulman. Il faut cependant relever la subtilité raffinée déployée par les auteurs dans l’examen minutieux des détails. Ce ne sont pas uniquement les cas surgis dans la pratique qui retiennent leur attention: leur imagination se donne libre cours pour découvrir les hypothèses les plus éloignées de la pratique. C’est la « casuistique » qui révèle le caractère sémitique de ce droit.

L’esprit général du droit musulman se caractérise par un objectivisme foncier. Tout le système est basé sur une série de présomptions irréfragables qui permettent une sécurité statique inébranlable. Les juristes musulmans ont toujours et partout envisagé l’« objet » du droit plutôt que ses « sujets ». Ils ont visé surtout à établir le règne d’une « justice commutative ». C’est pourquoi la notion d’« équivalence » joue un rôle important dans la théorie du contrat. Elle a été poussée jusqu’à ses limites extrêmes dans la théorie de l’usure.

Et c’est ainsi que le droit musulman se présente à nos yeux comme le résultat de l’activité soutenue par des lignées de juristes dispersés sur plus d’un point du vaste monde musulman. La civilisation qui eut tant d’éclat dans les domaines des sciences et des arts a aussi laissé son empreinte dans le domaine du droit.

Les institutions musulmanes

Le droit public

Le système musulman de gouvernement repose sur une base théocratique. Le khalife représente l’autorité suprême et réunit tous les pouvoirs entre ses mains. Cependant, en tant que théocratique, le pouvoir du khalife ne saurait comprendre le droit de légiférer dans les matières qui ont été, une fois pour toutes, réglementées par la loi musulmane (šar 稜‘a ). En revanche, le pouvoir exécutif ainsi que le pouvoir judiciaire lui appartiennent dans toute leur plénitude. En fait, le khalife délègue son pouvoir exécutif, dans les provinces, aux w l 稜s , comme il délègue le pouvoir judiciaire aux q ボ 稜s. Depuis l’époque des ‘Abb sides, le khalife se contente de nommer le Grand Q ボ 稜 qui, lui, subdélègue à son tour de nombreux q ボis.

L’organisation judiciaire

L’organisation judiciaire musulmane se distingue par sa simplicité et par son unité. Le tribunal se compose toujours d’un juge unique et celui-ci connaît, en principe, de toutes sortes de litiges. D’autre part, il n’existe pas, dans la justice musulmane, différents degrés de juridictions, tels que l’appel ou la cassation. Malgré tout, dès les débuts de l’ère islamique, une répartition des compétences s’est opérée, d’une manière empirique. Ainsi le q ボ 稜 al-‘askar était désigné pour connaître des litiges qui surgissaient entre gens de l’armée. D’un autre côté, une sorte de juridiction administrative a vu le jour sous l’étiquette de d r-al-ma ワ lim , qui avait à connaître des plaintes portées contre l’administration. Cette juridiction n’était point astreinte à appliquer la lettre de la loi islamique, mais pouvait juger « en équité ». Il en fut de même, à une époque tardive, du ム face="EU Caron" ギib , qui avait à connaître des affaires commerciales courantes. Enfin, en matière pénale, le プ ムib aš-šur レa infligeait généralement les pénalités encourues par les délinquants de droit commun. Il y avait aussi les édiles curules (mu ムtasib) qui s’occupaient de la police des marchés et des voies publiques.

Comme la preuve administrée par les parties devant la juridiction musulmane repose principalement sur le témoignage, un corps constitué de témoins (‘ud l ) était rattaché au tribunal et dépendait d’un membre auxiliaire de la justice, dénommé ル ムib al-mas ‘il .

La justice répressive

En principe, le q ボi était compétent en matière pénale, réserve faite de la compétence du ル ムib aš-šur レa et du mu ムtasib déjà évoquée. Le q ボ 稜 devait appliquer le droit pénal musulman – qui repose sur une distinction fondamentale entre le ムadd (peine fixe) et le ta’z 稜r (peine discrétionnaire). Il n’existait de peine fixe que pour six crimes nommément désignés, à savoir: l’homicide, la fornication, la fausse imputation de fornication, le vol, l’usage de la boisson alcoolique et le brigandage ou la rébellion. Pour l’homicide volontaire, la mort était encourue par le coupable, mais la peine était exécutée par la famille de la victime. L’homicide involontaire entraînait seulement le paiement du prix du sang (diyyah ). Quant à la fornication, elle était punie de la lapidation, lorsqu’elle constituait un adultère. Dans les autre cas, la peine en était la flagellation. Il en était de même de la fausse imputation de fornication et de l’usage de la boisson. Enfin, le voleur avait la main coupée et le brigand ou rebelle était mis à mort (crucifié par exemple) ou amputé de quelque membre. En dehors de ces crimes à peine fixe, le q ボ 稜 pouvait infliger toutes sortes de peines, laissées à sa discrétion, en châtiment d’infractions non prévues par la loi.

Condition de la personne

Dans l’État théocratique musulman, le lien qui relie la personne à l’État est précisément le lien religieux. Cependant, les sujets non musulmans ont pu jouir des droits de la personnalité et cela en vertu d’une sorte de charte, dénommée ‘ahd adh-dhimma , qui leur octroyait en principe les mêmes droits qu’aux sujets musulmans.

L’état de la personne se trouvait, malgré tout, conditionné par la religion, à laquelle elle appartenait. C’est ainsi que les dhimm 稜s (bénéficiaires de la dhimma ) étaient soumis à un impôt spécial: la face="EU Caron" ギizya . D’autre part, leurs litiges étaient tranchés par les chefs de leurs communautés respectives: l’État islamique s’en désintéressait.

L’étranger, c’est l’hostis (al ムarb 稜 ). En principe, il est démuni de tout droit. Mais l’étranger qui était autorisé à entrer en pays d’islam devenait par le fait même un musta’min . Sa personne et ses biens se trouvaient protégés, en vertu de l’autorisation donnée, appelée am n . Le séjour de l’étranger ainsi autorisé ne pouvait, en principe, se prolonger au-delà d’un an. Si l’étranger entend demeurer dans le pays, il entre dans la catégorie des dhimm 稜s et sera astreint à payer la face="EU Caron" ギizya, comme il sera soumis au statut du dhimm 稜 d’une manière générale.

Le musulman jouit, quelle que soit sa condition, de la plénitude de sa personnalité. Il a seul accès, en principe, aux fonctions publiques. Toutefois, si l’islam ne fait point état de la classe sociale à laquelle appartient l’individu, il reste qu’une partie de la population était démunie des droits de la personnalité, du fait de l’esclavage. L’esclave (‘abd ) n’est pas une personne, en droit musulman, mais diverses prescriptions ont tendu à améliorer sa situation sociale et à activer sa libération.

La condition de la femme musulmane était, en droit, égale à celle de l’homme: elle était pourvue d’une complète capacité de jouissance et d’exercice. La femme mariée elle-même conservait cette capacité et n’était pas soumise à la tutelle du mari. Cependant, seule la polygamie (à l’exclusion de la polyandrie) était admise dans certaines limites. D’autre part, seul le mari avait droit à la répudiation ( レal q ). Le divorce (ta レl 稜q ) était prononcé, sur la demande de la femme dans certains cas exceptionnels.

Régime des biens

En droit islamique, les terres et tous autres biens font l’objet d’un droit de propriété individuelle. La propriété s’acquiert notamment par contrat ou par voie de succession. La vente et tous actes translatifs de propriété transfèrent le droit par leur vertu propre. Aucune mesure de publicité n’est envisagée, dans les ouvrages de droit, en matière immobilière. En principe, le droit de propriété est absolu et comporte, avec l’usus et le fructus , l’abusus . Toutefois, les éléments de la propriété peuvent se trouver dissociés: nue-propriété d’une part et usufruit d’autre part.

Les règles de droit musulman établies pour régir les contrats sont en général impératives. La vente est le contrat type; elle est formée par l’émission de deux déclarations concordantes; elle constitue une « cause » (sabab ). Les effets en seront le transfert immédiat de la propriété de la chose vendue, du patrimoine du vendeur à celui de l’acquéreur. Accessoirement à cet effet, des droits naissent de part et d’autre en fonction de cet effet. Le contrat ne vise donc pas à créer des obligations à la charge de l’une ou de l’autre des parties contractantes. C’est pourquoi la volonté individuelle n’entre pas en ligne de compte.

Les contrats réglementés dans les ouvrages de droit sont au nombre d’une cinquantaine environ. Il y a d’abord les synallagma (mu‘ wa ボ t ): vente, louage, transaction. Il y a ensuite les libéralités (donation, testament) et les semi-libéralités (prêt ou cautionnement).

Le droit musulman à l’époque moderne

Vers la fin du XIXe siècle, la Sublime Porte a promulgué la première codification musulmane, appelée la « Méjellé ». Elle reçut application dans les divers pays faisant partie de l’Empire ottoman, à l’exclusion de l’Égypte. Cette codification renferme les textes relatifs aux transactions – actes et contrats – tels qu’ils ont été posés dans les ouvrages de droit hanéfite. La Méjellé n’est plus en vigueur à l’heure actuelle, sauf en Jordanie et au Koweit.

Des codes d’inspiration occidentale ont, un peu partout en pays d’Islam, été promulgués pour régir les divers rapports de droit qui naissent entre particuliers ou qui surgissent entre l’État et les citoyens.

Mais dans tous ces pays – réserve faite de la Turquie –, le droit de la famille est resté un domaine interdit. Dans ce domaine, qui englobe également la matière des successions et des testaments, le droit musulman a conservé son autorité. Il demeure un droit positif vivant dans les divers pays arabes du Proche-Orient (République arabe unie, Syrie, Liban, Jordanie, ‘Ir q) et de l’Afrique du Nord (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc), comme dans certaines régions de l’Afrique noire (Soudan) ou de l’Asie (Iran, péninsule arabique: Arabie Saoudite, Yémen, Koweit).

Le droit en vigueur dans cette partie du monde, c’est le droit musulman, tantôt hanéfite, tantôt malékite ou autre, lorsqu’il s’agit d’une matière relevant du statut personnel.

Cependant, à l’époque contemporaine, l’on ne tient plus toujours au droit musulman classique tel qu’il a été consigné dans les ouvrages de doctrine. Déjà, en 1917, un code ottoman de la famille est venu introduire certaines modifications au droit hanéfite, puisées chez des auteurs appartenant aux autres écoles. Depuis, l’exemple a été suivi: après les lois égyptiennes de 1920 et de 1929, la Jordanie (1951), la Syrie (1953), la Tunisie (1956), le Maroc (1957) et l’‘Ir q (1959) ont eu leurs propres codes de statut personnel. Seul le Liban continue d’appliquer le code ottoman de 1917. En Iran, une loi de 1967 est venue emboîter le pas aux autres pays d’islam.

Dans toutes ces législations, la famille prend un nouveau contour. Le lien conjugal s’affermit, la polygamie est soumise à des conditions plus restrictives, si elle n’est pas franchement abolie. Le droit à la répudiation est par ailleurs réglementé d’une manière plus limitative.

Perspectives d’avenir

Le droit musulman n’est plus à l’heure actuelle que le droit de la famille, dans la plupart des pays d’islam. Il règne, dans ces pays, un dualisme choquant entre un système hérité et des systèmes empruntés à l’Occident. C’est pourquoi un mouvement se dessine en vue d’une réunification des sources.

Le législateur égyptien a posé à l’article premier du Code civil de 1948 que, à défaut de disposition législative ou d’une coutume applicable, le juge statuera d’après les principes du droit musulman. Ce texte doit servir à promouvoir une nouvelle réception du droit musulman.

En attendant, le droit musulman se présente à nos yeux comme un ensemble de collections canoniques auxquelles sont venus se juxtaposer depuis une date récente quelques textes législatifs.

Tel qu’il est, il constitue une mine inépuisable de concepts dont l’étude présente un intérêt incontestable pour les recherches historiques et comparatives.

4. La théologie

En islam, la théologie a été appelée curieusement « science de la parole » (‘ilm al-kal m ), et ceux qui la pratiquent « ceux qui parlent » (al-mutakallim n ). On a proposé de cela plusieurs explications; celle qui prévaut aujourd’hui est que ladite science aurait été ainsi caractérisée non par son objet, mais par son mode d’argumentation. Le discours théologique en islam a été longtemps, en effet, de nature essentiellement polémique; il s’agissait de réduire à quia un adversaire par un défilé ininterrompu de questions, chaque réponse de l’adversaire recevant aussitôt sa réplique. C’est cet art de la controverse, incontestablement typique, qu’on aurait dénommé « science de la parole ».

C’est une question très débattue que de savoir comment a pris naissance la théologie en islam et à quel moment. Il ne fait pas de doute que, dès la période omeyyade, des problèmes de nature théologique ont été posés, que des doctrines, des écoles ont vu le jour. Mais ce que nous en savons nous est connu presque toujours de seconde main, et pour l’essentiel à partir d’ouvrages doxographiques dont les plus anciens datent de la seconde moitié du IIIe siècle de l’hégire/IXe siècle après J.-C.

Tout aussi incertaine est la question des influences subies. On a beaucoup parlé d’une influence possible de la théologie chrétienne ou de la philosophie hellénistique. Qu’il y ait eu certains emprunts est indéniable (par exemple en matière de cosmologie), encore est-il fort difficile d’en reconstituer le cheminement; et il ne faut surtout pas en exagérer la portée (comme on l’a fait trop souvent). La problématique théologique en islam, les doctrines qu’elle y a suscitées doivent être avant tout abordées et comprises dans leur contexte propre.

Historiquement – outre la question dite de l’« imamat » (c’est-à-dire la direction de la communauté musulmane après la mort du Prophète), de nature plus politique que théologique –, le premier problème posé à la conscience musulmane a été celui de la foi et des œuvres: pouvait-on considérer comme « croyant » celui qui, bien que se disant musulman, n’observe pas la Loi? Une première réponse, négative, a été celle des kh ridjites: tout musulman pécheur devient, de ce fait, « mécréant ». D’où est née, en réaction, une seconde doctrine selon laquelle tout jugement de cette sorte n’appartenait qu’à Dieu, les hommes n’ayant donc pas ici-bas à s’en charger; les tenants de cette thèse ont été appelés « murdji’ites » (littéralement « ceux qui remettent à plus tard »). Un autre problème tôt soulevé a été celui de la responsabilité de l’homme vis-à-vis de ses fautes (le Coran étant, sur ce point, fort ambigu): l’homme décide-t-il librement de ses actes, ou bien sa conduite est-elle d’avance déterminée par Dieu ? Paradoxalement, les partisans de la première doctrine ont été appelés « qadarites » (alors que qadar signifie au contraire la prédétermination de toute chose par Dieu). Leurs adversaires, tenants de la prédestination, ont reçu, quant à eux, le sobriquet de « djabrites » (de djabr , « contrainte »).

Très tôt également, certains se sont posé la question de la nature de Dieu, dont le Coran dit qu’« à Sa semblance il n’est rien » (XLII, 11). Comment fallait-il comprendre cela? Sur ce point, un certain Djahm (m. en 128/745) – par ailleurs partisan des thèses murdji’ite et djabrite – s’est rendu célèbre en affirmant une radicale transcendance de l’être divin: rien de ce qui est dit de l’homme ne peut être dit de Dieu, et inversement. Djahm niait en particulier que Dieu pût, au sens propre, parler (en dépit de Coran , IV, 164); le Coran n’était pas réellement Sa parole, mais une parole créée par Lui.

De ces premières « chapelles » du temps de Omeyyades sont issues les grandes écoles théologiques constituées sous le califat abbasside.

La première chronologiquement est l’école dite « mu‘tazilite », ainsi nommée, penset-on, parce que ses premiers partisans prétendaient « se tenir à l’écart » (i‘tazala ) des deux partis opposés, kh ridjite et murdji’ite, sur la question du statut du musulman pécheur. Née à Ba ルra, elle a dominé la scène jusqu’à l’avènement des Seldjoukides (447/1055), a survécu ensuite en gros jusqu’à la conquête mongole (656/1258). Très tôt (à la fin du IIe siècle de l’hégire), l’école s’est scindée en deux groupes, celui de Ba ルra et celui de Bagdad. Quelques noms méritent particulièrement d’être cités: chez les « ba ルriens », Ab l-Hudhayl (m. en 227/841), les deux Djubb ’ 稜, Ab ‘Al 稜 (m. en 303/915) et son fils Ab H shim (m. en 321/933), ‘Abd al-Djabb r (m. en 415/1025); chez les « bagdadiens », Bishr b. al-Mu‘tamir (m. en 210/825), Ab l-Q sim al-Balkh 稜 (m. en 319/931). De multiples divergences opposent les deux groupes, mais sans jamais, bien sûr, toucher à l’essentiel.

Deux principes fondamentaux inspirent la doctrine mu‘tazilite. D’une part, une conception très stricte de l’unicité de Dieu – d’où la négation en lui de tout attribut éternel (compris comme entité conjointe à son essence), et en particulier l’idée que sa parole est créée –, ainsi que de son absolue transcendance – d’où le rejet de toute représentation anthropomorphique (les termes coraniques de cette nature étant à comprendre métaphoriquement), et la négation de toute possibilité de voir Dieu (en dépit de Coran , LXXV, 22-23, qu’il convient, là aussi, d’« interpréter »). D’autre part, le principe de la nécessaire justice de Dieu, l’idée que, vis-à-vis des créatures, Dieu est tenu d’agir de telle ou telle façon, sans quoi il serait injuste. Cela implique notamment le rejet de l’idée de prédestination: il serait injuste de la part de Dieu de décider à l’avance que tel sera sauvé et tel autre damné, sans que ni l’un ni l’autre ne l’ait mérité par ses actes. Non seulement Dieu doit laisser les hommes libres de faire leur salut, mais il doit aussi accorder à tous pareillement sa grâce. Il est tenu de récompenser ceux qui lui auront obéi, de pardonner au pécheur repentant, de refuser au contraire son pardon au pécheur non repenti, etc.

Comme on le voit, les mu‘tazilites avaient une approche systématiquement « rationaliste » des problèmes théologiques. Pour eux, c’est fondamentalement par la raison que l’homme est à même de connaître Dieu, son existence, sa nature, son comportement vis-à-vis des êtres créés. La révélation coranique ne peut à cet égard que confirmer ce que la raison a établi, et il suffira donc, en cas de contradiction apparente, de l’« interpréter » convenablement. Sur le plan normatif, il en va de même: notre intelligence est en mesure de connaître par elle seule ce qui est bien et mal; c’est simplement un supplément d’information que, sur ce point, la révélation nous apporte (qu’il est bon de prier, de jeûner, etc.).

Leur « rationalisme » a conduit par ailleurs les mu‘tazilites à élaborer, en marge de leur théologie, toute une cosmologie, fondée sur deux principes: que les corps sont des composés d’atomes; que l’univers entier est fait de substances (identifiées aux atomes) et d’accidents inhérents à ces substances. Toutes conceptions, on s’en doute, complètement étrangères au Coran.

C’est cette approche rationaliste qui, dans un premier temps, a suscité, contre les mu‘tazilites, la réaction des milieux « sunnites », de ceux qui, tant au niveau du dogme que de la pratique, prétendaient s’en tenir avant tout à la révélation, Coran et sunna du Prophète. Chez certains, cette réaction a pris la forme d’un rejet pur et simple du ‘ilm al- kal m ; tel a été le cas notamment d’Ibn ネanbal (m. en 241/855) et de ses premiers disciples, qui, certes, professaient eux aussi un certain credo, mais limité à quelques énoncés, sans l’appareil rhétorique ni tous les à-côtés philosophiques du kal m mu‘tazilite. D’autres, en revanche, pour faire pièce efficacement à ce dernier, pensèrent devoir mettre au service du credo sunnite tout cet acquis technique et philosophique. C’est ainsi qu’ont vu le jour les grandes écoles théologiques sunnites.

La principale a été fondée par al-Ash‘ar 稜 (m. en 324/935), et dont les plus illustres représentants ont été al-B qill n 稜 (m. en 403/1013), al-Djuwayn 稜 (m. en 478/1085), Fakhr al-d 稜n al-R z 稜 (m. en 606/1209). Sur toutes les questions mentionnées plus haut, al-Ash‘ar 稜 prend le contrepied des thèses mu‘tazilites: affirmation de la réalité des attributs éternels, du caractère incréé de la parole divine; réalité des attributs anthropomorphiques, qu’il ne faut simplement pas chercher à expliquer; visibilité de Dieu; réalité de la prédestination; absolue liberté de Dieu, à qui nulle règle ne saurait s’imposer, qui accorde arbitrairement sa grâce, son pardon, etc. De telles conceptions sont indubitablement plus proches de la lettre du Coran comme de la tradition prophétique. Ce qui n’empêche que par ailleurs (c’est pourquoi les adversaires du kal m les condamneront tout autant) les ash‘arites usent des mêmes modes de raisonnement que les mu‘tazilites, et reprennent intégralement à leur compte leur cosmologie.

L’école ash‘arite est d’origine irakienne, comme l’école mu‘tazilite; ses adeptes étaient surtout sh fi‘ites et m likites. La deuxième grande école théologique sunnite a pris naissance, elle, en Transoxiane, dans un milieu purement ムanafite. Fondée par al-M tur 稜d 稜 (m. en 333/944), elle a compté dans ses rangs notamment Ab l-Mu‘ 稜n al-Nasaf 稜 (m. en 508/1114). Peu de divergences séparent les deux écoles. La plus substantielle concerne le problème du fondement du bien et du mal. Alors que, pour al-Ash‘ar 稜, seule la Loi révélée peut nous les faire connaître, et non notre intelligence, al-M tur 稜d 稜, proche en cela des mu‘tazilites, opte pour le point de vue contraire.

Les chiites, pour leur part, tant zaydites que duodécimains, n’ont pas de doctrine théologique spécifique, sauf, bien sûr, sur la question de l’imamat. L’histoire a voulu que, d’abord partisans de thèses « sunnites » (anti-qadarites en particulier), ils adoptent ensuite les thèses mu‘tazilites, en sorte que c’est par eux qu’en islam le mu‘tazilisme a survécu.

L’âge d’or de la théologie musulmane prend fin à peu près avec la conquête mongole. Commence alors une longue période de « conservatisme figé », le temps des « manuels » indéfiniment commentés et recommentés. À l’époque contemporaine, le genre a connu un certain renouveau, avec Mu ムammad ‘Abduh (m. en 1905). Mais il n’y a pas encore, de nos jours, une théologie islamique digne de ce nom, ou du moins digne de son passé.

5. La mystique

En l’an 632, lors du Pèlerinage d’adieu et trois mois avant sa mort, le Prophète Mu ムammad s’adressait à la foule des musulmans et leur demandait: « Ai-je bien transmis mon message? », et avant de les quitter il leur donnait cette ultime recommandation: « Que celui d’entre vous qui est témoin informe celui qui est absent! » Le double message de l’islam, à la fois loi (shar 稜‘a ) et vérité spirituelle ( ムaq 稜qa ), Coran, parole de Dieu révélée « en langue arabe claire », et sunna, tradition du Prophète constituée de ses propos et de ses actes, était ainsi confié aux croyants, qui avaient pour devoir de le communiquer.

L’islam et l’obligation de l’instruction spirituelle

Selon une autre parole fondamentale de Mu ムammad: « La recherche du savoir est une obligation pour tout musulman. » Ce had 稜th est revendiqué par tous les « savants », et plus particulièrement par ceux qui sont éminemment « les héritiers » du Prophète, et dont la fonction est d’enseigner « la science des cœurs » (‘ilm al-qul b ), « la science de la gnose » (‘ilm al-ma‘rifa ), ou encore « la science de la vie spirituelle », le soufisme (‘ilm al-ta ルawwuf ). Cela implique que celui qui « aspire à Dieu » (mur 稜d ) a besoin d’un maître (cheikh), sans lequel, livré à l’ignorance, il risquerait de s’égarer gravement. ‘Abd al-Q dir al-J 稜l n 稜, le grand saint de Bagdad (mort en 1166), écrit à ce sujet dans sa face="EU Updot" 螺unya (II, pp. 184-185): « Dieu a été l’instructeur direct d’Adam, puis après sa chute ce fut Gabriel qui s’est chargé de son enseignement [...]. Ce fut également Gabriel qui a instruit Mu ムammad et qui lui a appris notamment comment pratiquer les ablutions (wu ボ ‘ ) et les gestes de la prière rituelle ( ルal t ) [...]. Mu ムammad a instruit ses compagnons ( ルa ム ba ), et à leur tour ceux-ci ont instruit les musulmans de la deuxième génération (t bi‘ n ), et ainsi de suite [...]. Les cheikhs, quant à eux, sont le chemin qui mène à Dieu, les guides qui conduisent à Lui, et la porte par laquelle on pénètre jusqu’à Lui [...]. Le mur 稜d ne doit pas se séparer de son cheikh tant qu’il n’est pas parvenu à son Seigneur, qui se chargera alors de l’éduquer et de le former. »

La sainteté, « amitié divine » (« wal size=5ya ») et « proximité de Dieu » (« qurba »)

Selon la dernière phrase de la citation précédente, le rôle du maître spirituel s’arrête là où commence celui de Dieu à l’égard des êtres d’exception, c’est-à-dire les saints. Le mot qui les désigne habituellement est celui de wal 稜 (awliy ‘ au pluriel). Des versets coraniques (X, 62-64), souvent cités, attestent que: « Les amis de Dieu n’éprouveront plus aucune crainte ni aucune affliction, eux qui auront cru et auront fait preuve de piété. Ils auront reçu la bonne nouvelle dans la vie immédiate... » La racine wly , à laquelle appartiennent le mot wal 稜 et le mot wal ya , la « sainteté », contient les deux idées d’amitié et de proximité; les saints du rang le plus élevé seront donc également désignés dans le Coran par le terme al-muqarrab n (LVI, 11), « ceux qui sont rapprochés », et qui « devancent » (al-s biq n ) les autres croyants.

Ces deux notions d’amitié divine et de proximité de Dieu se retrouvent dans un célèbre had 稜th quds 稜 (où Dieu parle à la première personne), consigné dans les recueils canoniques de traditions: « Quiconque manifeste de l’hostilité envers l’un de Mes amis, Je lui déclare la guerre. Mon serviteur ne se rapproche pas de Moi par quelque chose qui Me soit plus agréable que l’accomplissement de ce que Je lui ai prescrit, et Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par des œuvres surérogatoires, jusqu’à ce que Je l’aime. Et, quand Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied avec lequel il marche. S’il M’adresse une demande, en vérité, Je l’exauce!... » Cette tradition, connue sous le nom de had 稜th al-wal ya , a fait l’objet d’un long commentaire sous la plume du cheikh yéménite al-Shawk n 稜 (mort en 1832), dans lequel il réfute la thèse de l’itti ム d , c’est-à-dire de l’identification entre le créateur et la créature, soutenue par certains hérétiques.

Une autre tradition, comptée par le hanbalite Ibn Ba a parmi les « vérités auxquelles il faut croire », est à rattacher à la précédente: « Quiconque s’approche de Moi d’un empan, Je M’approcherai de lui d’une coudée. Quiconque s’approche de Moi d’une coudée, Je M’approcherai de lui d’une brasse. Quiconque s’approche de Moi en marchant, Je M’approcherai de lui en Me hâtant. »

Au sommet de la hiérarchie des saints se trouvent les envoyés divins (al-rusul ), les prophètes (al-nabiyy n ), les justes (al- ルidd 稜q n ), les martyrs (al-shuhad ‘ ), et les serviteurs parfaits (al- ル li ム n ). Il est à noter que Marie, la mère de Jésus, est la seule femme qui ait droit dans le Coran (V, 75) au qualificatif de « juste » ( ルidd 稜qa ). Ibn ‘Arab 稜, « le plus grand des maîtres » (mort en 1240), précise dans ses Fut ム t (II, p. 24) que « le ルidd 稜q trouve, par une nécessité innée [ ボar ratan ], la lumière de la foi dans l’œil de son cœur », donc naturellement et sans effort.

L’élaboration doctrinale de la notion de wal ya se fera d’abord chez al- ネak 稜m al-Tirmidh 稜 (mort en 930) – on se référera sur ce point aux travaux de Geneviève Gobillot – et ensuite chez Ibn ‘Arab 稜. Les penseurs de l’islam sh 稜‘ite développeront, quant à eux, les notions de « cycle de la prophétie », clos par Mu ムammad, et de « cycle de la sainteté », qui ne sera clos que par la parousie du mahd 稜, de l’im m « attendu » et présentement « caché ». On renverra sur ces questions aux travaux d’Henry Corbin et de Christian Jambet.

La voie spirituelle et le soufisme

Celui qui aspire à Dieu, le mur 稜d , est généralement désigné comme étant un muta ルawwif , c’est-à-dire un homme qui entre dans la voie spirituelle, le ta ルawwuf , et qui, s’il parvient au terme, sera un ル f 稜 . Mais le mot ル f 稜 a pris un sens beaucoup plus large; il s’applique alors à tout musulman qui se place sous la direction et la sauvegarde d’un maître, qui, par le pacte initiatique (bay‘a , mub ya‘a ), lui communique sa bénédiction (baraka ) et l’autorise à pratiquer méthodiquement l’invocation de Dieu (dhikr ), dont l’aboutissement espéré peut être la réalisation (ta ムq 稜q ) d’une expérience spirituelle.

C’est à la fin du VIIIe siècle que l’appellation collective de « soufis » aurait désigné, pour commencer, un certain groupe parmi les ascètes de K fa, sans doute parce qu’ils se singularisaient par le port d’un vêtement de laine ( ル f ) blanche en signe de pénitence. Un siècle plus tard, elle s’applique à la corporation des mystiques de Bagdad, dont les plus notoires sont Junayd, « le seigneur de la tribu spirituelle » (mort en 911), et al- ネall j (mort martyr en 922). Mais il est important de noter que des théoriciens célèbres de la vie spirituelle, tels que alMu ム sib 稜 (mort en 857-858), l’auteur de L’Observance des droits de Dieu , et Ab ヘ lib al-Makk 稜 (mort en 996), l’auteur de La Nourriture des cœurs , n’emploient pas le mot ta ルawwuf . Quant au mot ル f 稜 , utilisé rarement par al-Makk 稜, il a plutôt chez lui le sens défavorable d’« extatique ». Il faut signaler aussi qu’au Khur s n, et à la même époque (IXe et Xe s.), s’étaient développées deux formes particulières de spiritualité, celle des « chevaliers de la foi » (fity n ) et celle des « hommes du blâme » (ahl al-mal ma ou mal matiyya ), auxquelles Sulam 稜 (mort en 1021) consacrera deux opuscules. Les soufis de Bagdad bénéficieront de l’apport spirituel des Khur s niens, notamment d’Ab ネaf ル al- ネadd d (« le Forgeron ») venu donner aux disciples de Junayd une leçon de « chevalerie de la foi » (futuwwa ). Assez contradictoirement, et pour des raisons qui restent mystérieuses, ce sont des Khur s niens, notamment al-Sarr j (mort en 988) et al-Kal b dh 稜 (mort en 995) qui engloberont sous le terme de ta ルawwuf les différentes formes de spiritualité. Sulam 稜 lui-même, après avoir considéré que la sainteté cachée des « hommes du blâme » était plus proche de Dieu que la sainteté visible des プ fi 丹 (thèse reprise par Ibn ‘Arab 稜), rangera finalement tous les spirituels sous le vocable de プ fi 丹 . Les Iraqiens s’approprieront les vertus sur lesquelles les Khur s niens mettaient l’accent: la sincérité héroïque et énergique ( ルidq ), le fait de donner constamment la préférence à autrui ( 稜th r ), le fait de tenir secrets les grâces et les prodiges miraculeux dont on fait l’objet de la part de Dieu, et la suspicion à l’égard de sa propre âme afin d’éviter le danger de l’ostentation (riy ‘ ).

Le parcours de la voie spirituelle (« sul size=5k »); les confréries (« size=5レuruq »)

En conformité avec le symbolisme arabe de la vie nomade et également avec le Coran, qui parle du « chemin droit » et de la « bonne voie », la vie spirituelle est décrite comme un parcours marqué de nombreuses « étapes » (man zil ). Mais l’une des conditions préliminaires à l’entrée dans la voie ( レar 稜qa ) est de pratiquer, à l’imitation du Prophète, le renoncement au monde (zuhd ) et de mener une vie simple et austère. Ce n’est qu’en adoptant une pauvreté volontaire, d’où le terme de faq 稜r employé souvent pour le spirituel, que l’on peut prétendre devenir un s lik (« qui suit la voie »). Les auteurs distinguent les « stations » (maq m t ) et les « états » (a ムw l ). Les « stations » sont ce qui dépend entièrement de l’homme, et qu’il peut acquérir par ses propres efforts (mak sib ). Il s’agit des vertus spirituelles, généralement énoncées dans l’ordre suivant: le repentir, la piété scrupuleuse, le renoncement, la patience, la pauvreté, l’humilité, la crainte, l’espérance, la remise confiante, l’acceptation du destin. Les « états », tels que l’amour, et l’« extinction » (fan ‘ ) de l’ego dans la contemplation (mush hada ) sont des dons divins (maw hib ), au contraire des « stations ».

Celui dont la vocation est de cheminer vers Dieu a besoin d’un guide (murshid ), à qui il devra se soumettre « comme le cadavre entre les mains du laveur des morts »; et c’est l’un des rôles assumés par le cheikh de confrérie ( レar 稜qa ). Après son initiation, le disciple pourra demeurer auprès du maître dans la z wiya , qui est une sorte de couvent temporaire, faisant aussi office d’hospice ou d’hôtellerie (d’autres noms lui sont donnés selon les époques ou les lieux: rib レ , kh naq h , takiyya ou tekké ). C’est là qu’il pourra pratiquer le jeûne et la retraite, et participer avec d’autres ikhw n (« frères ») ou fuqar ‘ (« pauvres ») aux pratiques rituelles: récitation des litanies ou « chapelet » (wird ), séances collectives d’invocation, portant le nom de ムa ボra ou de ‘im ra et généralement accompagnées de chants et de musique (sam ‘ ) destinés à favoriser l’extase (wajd , taw jud ).

Les grands ordres soufis, rattachés au Prophète par une filiation initiatique, aux multiples branches et sous-branches, n’ont fait qu’étendre la pratique de la ルu ムba (association maître-disciples). Ils sont apparus et se sont développés, surtout dans les couches populaires, à partir du XIIIe siècle. Ils portent le nom de leur fondateur: Suhrawardiyya, Kubrawiyya, Mawlawiyya, l’ordre des « derviches tourneurs », fondé par « Mawl n » Jal l al-D 稜n R m 稜 (mort en 1273), grand poète en langue persane de l’amour mystique; Q diriyya, répandu assez tard après la mort de ‘Abd al-Q dir al-J 稜l n 稜, Sh dhiliyya, et Naqshbandiyya, développé surtout dans les pays asiatiques et surtout connus pour la pratique du dhikr mental et silencieux.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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